«Cette visite du président Caïd Essebsi à Rome est plus qu’utile : nécessaire, à plus d’un titre, affirme Mourad Fradi, président de la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-italienne.
Porteuse d’accords importants, elle vient surtout redresser l’image de la Tunisie en Italie, restaurer la confiance entre les deux pays et mettre en valeur tout le potentiel qu’offre notre pays».
Co-commissaire de la Conférence internationale sur l’investissement Tunisia 2020, Fradi regrette la participation timide de l’Italie à cette importante manifestation.
«Cela nous a d’ailleurs privé de retombées médiatiques positives en Italie où l’image de la Tunisie a été entachée ces dernières années par celle d’attentats terroristes et de manifestations de salafistes. Les dégâts ont été catastrophiques.
Investisseurs et donneurs d’ordre ont eu peur de venir chez nous. Des commandes ont été annulées et nous n’avons pas su allumer les contre-feux nécessaires pour rétablir notre image».
Des reportages télé dans des émissions très populistes ont relayé de fausses réalités. Comme ce fut le cas pour l’huile d’olive tunisienne ou d’autres séquences relatives aux terroristes. Les attentats du Bardo et de Sousse, particulièrement, ont produit un effet très négatif.
«Les Italiens les ont fortement mal ressentis. C’est l’effet de la proximité géographique, explique Mourad Fradi. Ils se sentent si proches de nous qu’ils s’estiment personnellement concernés, directement visés. Nous devons leur envoyer des images qui les rassurent, reflétant la réalité du pays».
Plus de stabilité et de visibilité générale
Actuellement, près de 860 entreprises italiennes sont implantées en Tunisie, assurant plus de 63.000 emplois directs. Elles opèrent essentiellement dans le textile, les composants automobiles, l’agroalimentaire et les services. L’investissement direct n’a cessé de se ralentir, alors que les opportunités ne manquent pas. «Nous
pouvons faire au moins le double, affirme Fradi, si nous garantissons, en plus de la sécurité, plus de stabilité réglementaire, de visibilité générale et d’assouplissement des formalités administratives. Les chefs d’entreprise italiens sont très contrariés par la succession de nouveaux textes réglementaires, de nouvelles mesures fiscales, de taxes avec effet rétroactif. Prenez le cas de la contribution exceptionnelle de 7.5% sur les bénéfices, décidée en décembre et imposée sur l’exercice 2016. Personne ne l’avait prévue et tous auront du mal à l’annoncer à leur hiérarchie en Italie. On aurait pu la fixer pour l’exercice 2017, voire l’amortir sur deux ou trois ans. Mais, l’édicter de fait ne manque pas de susciter des interrogations sur tout ce qui peut arriver de plus, sans préavis».
Pourquoi pas une banque italienne en Tunisie ?
Outre la sécurité et la visibilité réglementaire, le président de la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-italienne pointe du doigt les entraves administratives. «Les délais de réponse, quand on obtient une réponse, sont très longs, souligne-t-il. Les formalités sont complexes et les procédures peu claires. Tous nos atouts de compétitivité risquent de s’estomper. Nous devons les reconsolider.»
L’absence d’institutions de financement constitue pour Mourad Fradi un autre handicap majeur. «Aucune banque italienne n’est établie en Tunisie alors que la France, par exemple, en dispose d’au moins trois. Là aussi, des initiatives sont nécessaires».
«Nous sous-estimons le potentiel technologique de l’Italie»
Y a-t-il des entreprises tunisiennes significatives qui opèrent en Italie ? «Très peu, indique-t-il. Mais, nous relevons deux phénomènes prometteurs. Le premier est celui de plus en plus de produits tunisiens, notamment agroalimentaires, qui arrivent à pénétrer avec succès sur le marché italien. Quant au second, il relève de l’outsourcing. Qu’il s’agisse
de centres d’appels opérant au profit de marques et firmes italiennes, de traitement en Tunisie de la comptabilité et autres services d’infogérance, des partenariats utiles se forment. Les Tunisiens sont sur ces deux plans de plus en plus agressifs. Le potentiel est encore beaucoup plus important. Nous sous-estimons le potentiel italien et beaucoup pensent que l’Italie est synonyme de bien manger et bien s’habiller, alors que ce pays affiche de réelles avancées technologiques dans nombre de secteurs. Prenez par exemple
le recyclage des déchets, les énergies renouvelables, la production agricole:
de vrais gisements dont nous ne tirons pas suffisamment d’intérêt. Notre coopération dans ces secteurs reste insuffisante. Nous pouvons en bénéficier beaucoup plus. »
Triangulariser
Une autre opportunité s’offre également à travers la triangularisation. «Les Italiens parlent essentiellement italien et ne pratiquent pas souvent d’autres langues. Nos opérateurs peuvent alors les accompagner sur des marchés africains francophones et dans des pays arabes, indique Fradi. D’ailleurs, l’une des fiertés de notre Chambre de commerce et d’industrie est d’encourager cette démarche. D’ores et déjà, nous avons favorisé un partenariat industriel tuniso-italien dans le domaine de la menuiserie en PVC au profit de la Côte d’Ivoire. Les équipements et la technologie proviennent d’Italie et la production se fait en Tunisie. Le premier marché conclu porte sur près de 5 millions de dinars, ce qui n’est pas négligeable et ouvre de bonnes perspectives. Un deuxième projet se concrétise dans l’agroalimentaire et nous travaillons sur d’autres initiatives».
Reprendre les road-shows
Mourad Fradi est très optimiste. «Les entretiens qu’aura le président Caïd Essebsi à Rome, tant avec les officiels que les investisseurs, et la médiatisation de cette visite auront des retombées bénéfiques. La promulgation de la loi sur l’urgence économique et la publication des textes d’application du nouveau code des investissements seront importantes pour témoigner de la volonté de la Tunisie de promouvoir les partenariats escomptés». «Nous devons reprendre nos road-shows en Italie pour les faire connaître,
conclut Fradi. Avec nos adhérents, nous ciblerons cette fois des régions spécifiques
avec des offres appropriées. Cela nous donne beaucoup d’espoir».
Source: LEADERS N:69 Février 2017